Les jours où je ne bosse pas, je me fais essentiellement chier. Ou alors je bois, je fume, je fais des choses qui se disent pas trop en public, devant la télé, l'ordi ou ailleurs. Je suis pas le genre de mec qui se prend la tête, tant qu'on m'emmerde pas, tout roule toujours. Je me lève tard, je glandouille une bonne partie de la journée et puis je m'amuse aussi parfois à démonter des flingues et à les remonter, après avoir nettoyé chaque petite pièce. On sait jamais.
Côté fric, je tiens mes comptes pour pas éveiller les soupçons, j'écoule mes billets un peu à la fois, en restant assez prudent. Peut-être qu'un jour je finirai par tout claquer, mais c'est pas encore pour tout de suite.

L'immeuble où je vis est ennuyeux. J'ai des voisins très polis, serviables, qui sortent leurs poubelles à temps et font gaffe de ne pas mettre la musique ou la télé trop fort. J'ai jamais été comme ça, moi. Il y a un p'tit vieux à l'étage du dessous qui m'a déjà râlé dessus, mais je l'ai envoyé péter. C'est pas un vieux croulant qui va me faire la leçon. J'ai jamais écouté ma mère, alors un étranger... faut pas rêver.

Ce soir, le bar est fermé, alors j'ai passé la journée en calbut, à me trainer de mon lit à mon divan, puis à la douche, quand même, avant de m'habiller d'un jean et d'une simple chemise. J'ai fumé à la fenêtre, parce que j'avais la flemme de descendre. Et comme je vis seul, personne ne viendra me saouler avec ça. Y a juste le proprio qui pourrait me tomber dessus : quand j'ai signé pour l'appart, j'ai menti en disant que je n'étais pas fumeur, pourtant, je pense que c’est pas difficile de savoir que je grille un paquet par jour, suffit de sentir mes fringues.

Enfin... le souci avec mon taff actuel, c'est que je suis décalé. Ma vie a un rythme qui n'est pas le même que beaucoup de gens. Et vaut mieux que je reste sur ce rythme si je veux pas me planter au bar. Alors la nuit, souvent, je me balade. Le toit de l'immeuble, c'est assez sympa. C'est tranquille, personne vient jamais là.
Sauf ce soir.

Quand je suis arrivé en haut, comme ça m'arrive de temps en temps, j'ai laissé la porte claquer. J'ai la clef de toute façon. J'allume ma clope directement. J'ai pris une bouteille pour boire ça au calme. Sauf que... il y a déjà quelqu'un qui squatte le toit. Un énergumène qui parle tout seul en regardant dans son télescope. Encore un intello. Et la porte qui claque, ça a pas l’air de lui plaire.

“C'est bon, ça va… y a pas mort d’homme et si quelqu’un vient râler pour le bruit, je l’emmerde.” Qu'est-ce que c'est qu'une porte qui claque alors que la ville entière grouille de bruits ?
Je vais m'appuyer contre un mur pour fumer tranquillement. Pas envie de me prendre la tête ce soir, juste fumer en paix. Mais quand je vois l’attirail du type, je ne peux pas m’empêcher…
“Tu mates la gonzesse du quatrième étage, en face ? De ma fenêtre, je la vois souvent passer à poil.”

Je tombe toujours sur des personnes un peu spéciales. Quand c’est pas des mecs bourrés au bar, c’est des chelous sur les toits. Bon, je lui avais un peu fait peur avec la porte, mais quand même pas de là à lui faire péter un câble, si ? Sa façon de me répondre avait été un peu similaire à celle qu’aurait pu avoir un gosse. Je sais pas trop pourquoi, mais j’ai vu assez de types de toutes sortes pour pas me formaliser. Ça veut pas dire que le mec est un gamin attardé.

Ok, il n’aime pas le bruit. Je pense que j’aurais pu le comprendre sans qu’il le dise, en fait. “Me prends pas pour un con.”

J’ai pas envie de l’emmerder mais c’est trop tard. Ma présence le dérange comme sa présence me dérange. En le regardant, je me rends vite compte qu’il ne me faudrait pas faire beaucoup d’effort pour le mettre à terre et le neutraliser. Ou alors, je pouvais m’amuser un peu, aussi.

Il me parle de l’univers comme d’une grande beauté. Et j’inspire une bouffée à ce moment-là. C’était quand même pas un de ces timbrés qui épousent des objets ? En Amérique, ce genre de truc est tout à fait possible, je ne sais plus trop comment ça s’appelle, mais c’est un truc qui se fait. Une meuf et un avion, une autre avec un luminaire… alors pourquoi pas un mec avec une planète ? ça doit juste pas être terrible au lit, si vous voulez mon avis.
“Mateur de planètes. C’est cool.”
Et puis il me demande carrément si je suis un pervers. Ça, ça me fait marrer. Je peux pas me retenir de rire, sa question est trop spontanée.
“Elle passe devant sa fenêtre exprès pour être regardée. Certaines nanas font ça et espèrent qu’on viendra sonner à leur porte. En la matant, je lui donne au moins l’impression d’être bonne.” Bon, en soi, elle est pas moche et ses beaux nibards bronzés sont pas mal du tout. Le banc solaire lui va bien, on va dire. Mais j’ai encore jamais été jusqu’à la suivre ou l’espionner vraiment. Je la mate quand elle passe, je cherche pas à la voir spécialement.

“Si ça peut te rassurer, c’est pas ma came le voyeurisme. Je suis plutôt un mec porté sur l’action. La théorie, le rêve, tout ça, ça n’apporte pas grand-chose.”
Qu’il me prenne pour un pervers s’il le veut, honnêtement, j’en ai rien à foutre. Peut-être même que ça me permettrait d’avoir la paix.

Mais… Sérieusement ? Il s’excuse ? Mais… what the fuck ? ça me donne envie de rigoler, mais quand je vois qu’il a vraiment l’air un peu gêné, honnêtement, ça me fait plutôt lever un sourcil.

“T’es sérieux ? C’est une façon de parler, mon gars.” Je ne sais pas pourquoi je lui précise ça, mais je le fais.
J’observe le type et je recrache la fumée par les narines, lentement. Il y a un truc de spécial chez lui, mais je ne sais pas trop ce que c’est. Je n’ai pas souvent rencontré des astronomes, alors c’est peut-être ça qui me semble bizarre… un job où on passe son temps à observer le ciel et à cartographier les étoiles, à les étudier, c’est pas le genre de trucs que j’aurais pu faire. On n’avait pas d’argent pour me payer des études, alors, c’est un peu normal que je trouve ça inhabituel.

“Tu dois être un mec super intelligent, alors, je suppose.” Comme le type dans son fauteuil roulant, là, dont j’oublie toujours le nom.
Des gens intelligents et bardés de diplômes, ça j’en ai croisés. Et certains sont des gros cons, malgré leurs grandes études. Mais il n’a pas l’air d’être de ceux-là.

“Certaines le font pour le sexe, d’autres pour le fric. La plupart des gens fonctionnent avec ces deux moteurs…” Il y a la drogue, aussi, mais c’était une autre histoire.
C’est un moment étrange. Je ne sais pas si c’est quelque chose de très confortable pour lui, mais pour moi, c’est pas trop mal.

“Les plans cul, ça m’intéresse plus trop. ” Le nombre de gonzesses qui s’attachent à toi alors qu’il était clair dès le départ que ce n’était que du sexe, ça me faisait un peu chier. Autant éviter les emmerdes du genre, parce que c’était un peu lourd. “ Moi aussi je peux être taré, dans mon genre.”

Je lui adresse un sourire en coin. Je ne sais pas ce qu’il veut dire par « taré », mais j’ai l’intention qu’on ne pense pas du tout à la même chose, lui et moi.